Chasser les dragons dans la grotte d'un laboratoire

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Début septembre, Anthony Herrel et moi-même nous sommes rendus à Moulis (Ariège, France) pour visiter la grotte-laboratoire du CNRS dans le cadre de l'étude sur l'utilisation de l'énergie solaire. SETECe laboratoire souterrain, fondé en 1948, est dédié à l'étude des organismes cavernicoles et de leur environnement karstique. Ce laboratoire souterrain, fondé en 1948, est dédié à l'étude des organismes cavernicoles et de leur environnement karstique. Parmi les organismes cavernicoles maintenus et élevés au laboratoire de Moulis, nous avons eu la chance de filmer deux espèces de salamandres cavernicoles : l'olm (Proteus anguinus) et le triton pyrénéen (Calotriton asper).

L'Olm ou Proteus: Salamandres ou dragons ?

Les olms (Proteus anguinus) sont originaires de Slovénie et de Croatie. Très peu de laboratoires en Europe élèvent ces animaux. Au laboratoire de Moulis, il y a eu quelques nichées de Proteus (le dernier en 2019). Cependant, elles restent très rares car les conditions favorables à la reproduction des Proteus ne sont pas encore connus et maîtrisés, et aussi parce que les Proteus ne sont sexuellement matures qu'à l'âge de 15 ans environ. Ces animaux allongés peuvent atteindre 20 à 40 cm de long et leur longévité est exceptionnelle : ils peuvent atteindre près de cent ans ! Ils ont un cycle de vie pédomorphe, c'est-à-dire qu'ils conservent des caractéristiques larvaires tout au long de leur vie (notamment des branchies externes). Comme ils vivent dans l'obscurité totale des grottes, ils sont dépigmentés et aveugles. Mais on peut se poser la question : Comment perçoivent-ils leur environnement ? Nos petits dragons des ténèbres peuvent percevoir leur environnement grâce à des super-pouvoirs appelés : chimioréception et électrolocalisation ! Mais qu'est-ce que c'est ? La chimioréception permet aux olms de percevoir leur environnement avec un bon sens de l'olfaction (comme notre odorat). L'électrolocalisation permet aux olms de se déplacer dans l'obscurité grâce au courant électrique. Ils possèdent des organes électrosensoriels appelés ampullaires qui peuvent détecter de faibles champs électriques, ce qui les aide à s'orienter dans la grotte. En raison de leur apparence étrange, la première mention écrite de l'olm - datant du 17e siècle - le désignait comme un bébé dragon. En effet, lors des crues, les olms étaient parfois expulsés des grottes dans lesquelles ils vivaient, et les populations locales pensaient qu'il s'agissait de larves de dragons des cavernes, confondant les branchies avec des ailes de dragon.

Pendant notre séjour, nous avons réussi à enregistrer plus de trente vidéos à haute vitesse de plusieurs individus pendant qu'ils se nourrissaient. C'est la première fois au monde que de telles vidéos sont enregistrées ! C'est une chance pour nous car les olms peuvent jeûner pendant plusieurs mois sans problème, étant donné leur métabolisme très lent. Ces données ajoutent une nouvelle famille de salamandres à notre ensemble de données fonctionnelles sur la cinématique de la prise alimentaire chez les salamandres.

Juvénile d'un olm en train de se nourrir par succion. Enregistrement vidéo à haute vitesse (1000 fps). ©Anthony Herrel & Isabelle Toussaint

Le triton pyrénéen ou Calotriton: uniquement dans les Pyrénées d'Andorre, de France et d'Espagne !

Le triton pyrénéen (Calotriton asper) a un cycle de vie biphasique, c'est-à-dire que les individus subissent une métamorphose de la larve à l'adulte, mais sans changement d'habitat associé ! En fait, ils peuvent passer toute leur vie dans des masses d'eau oxygénées telles que les lacs et les cours d'eau. Plusieurs populations ont été identifiées avec une signature génétique particulière. A la grotte laboratoire de Moulis, les tritons pyrénéens sont particulièrement intéressants car différentes populations sont maintenues dans deux conditions différentes : 1) des populations souterraines (hypogées) et 2) d'autres provenant de populations vivant dans les cours d'eau de surface (épigés). Nous avons pu filmer des individus épigés et hypogés dans des conditions de lumière et d'obscurité. Ceci nous permettra de réaliser une étude comparative entre les deux types de populations et d'explorer comment ces animaux se sont adaptés à un mode de vie souterrain.

Truite épigée des Pyrénées attrapant sa proie. Vitesse réelle. Isabelle Toussaint
Isabelle Toussaint
Isabelle Toussaint

Doctorant étudiant les variations morphologiques et fonctionnelles au cours de l'ontogenèse, le chevauchement de la morphologie et de la fonction entre les larves et les adultes, ainsi que la forme et la fonction chez les salamandres.

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